Jamais simple de quitter de hautes fonctions, dans le privé comme dans le public. On peut toutefois ne pas (trop) mal le vivre… à condition d’éviter mille et un écueils. Voici les conseils d’Olivier Herlin, consultant en management et associé du cabinet Pactes Conseil.
Article publié dans La Croix L’Hebdo, N°67 du 29 janvier 2021.
Quitter un poste à responsabilités, est-ce toujours douloureux ?
Cela peut l’être, car l’on confond souvent fonction et identité. On dit d’ailleurs, et ce n’est pas anodin : « Je suis PDG » plutôt que « j’exerce la fonction de PDG ». Un transfert très fort entre ce que l’on est et notre statut professionnel s’opère souvent. Dès lors, quitter son poste c’est, un peu, arrêter d’être…
Ce transfert est d’autant plus fréquent lorsqu’on surinvestit ses fonctions en y consacrant 120% de son temps. Il s’agit là d’un cercle vicieux car, plus on investira le travail, moins on pourra s’impliquer dans le club de foot de ses enfants, moins on trouvera le temps de participer à une chorale, etc. Moins on a d’engagements et d’activités différents (au sein de la famille, au sein d’une association…), plus quitter ses fonctions peut s’avérer douloureux. Lorsqu’on a occupé de hautes fonctions, on a par ailleurs été admiré, redouté, obéi en tout cas… il faut aussi apprendre à ne plus tirer son estime de soi du regard des autres.
Certains profils le vivent-ils moins bien que d’autres ?
Certains ont été nommés à de hautes fonctions du fait de leur leadership naturel, de leur expertise, de leur sens des relations, etc. Pour eux, passer la main sera plus aisé que pour ceux qui – ayant besoin d’être rassurés sur leur importance ou sur leurs compétences – ont un fort besoin de reconnaissance lié à leur fonction. Pour eux, ne plus figurer en haut de l’organigramme, ne plus être en position de contrôle, sera sans conteste plus difficile.
Peut-on corréler la manière d’exercer ses fonctions et la manière dont on les quitte ?
En partie, oui. Plus on a managé avec rigidité, plus on s’est refusé à déléguer, plus le départ se révèle délicat. Ceux, en revanche, qui savent lâcher prise et associent leurs collaborateurs quittent plus facilement leurs fonctions.
Le fait de former sa succession peut aussi aider. On éprouvera une vraie gratification à voir grandir les autres, et y contribuer activement.
Après, les relations avec son successeur sont parfois ambivalentes : celui qu’on a adoubé peut, certes, poursuivre votre œuvre mais aussi vous éclipser…
Est-il possible de se préparer au départ et, si oui, comment ?
Quand la chose n’est pas anticipable, c’est forcément plus douloureux. Ceux qui ont la possibilité de prévoir vont choisir la date, la façon de partir, voire mettre en selle leur dauphin. Tout cela permet de garder une forme de contrôle. Reste ensuite à désinvestir le costume, en déléguant progressivement. J’insiste toutefois sur un point : quitter ses fonctions, sera forcément suivi d’un travail de deuil. La douleur est évidemment sans commune mesure, mais les étapes sont identiques. On passe par une période de sidération, puis une forme de déni, vient ensuite du ressentiment et enfin une période de blues. C’est seulement ensuite qu’on se projette à nouveau. Ces phases sont incontournables ; seule la durée de chacune diffère d’un individu à l’autre. Sans surprise, plus on a surinvesti ses fonctions, plus ces phases seront longues…
L’entourage peut-il aider ?
Souvent, il s’empresse de rappeler à celui qui vient de quitter ses fonctions tous les bénéfices qu’il pourra en tirer. « Toi qui te plaignais de ne pas avoir le temps pour ceci ou cela, tu vas enfin te trouver… », lui répète-t-on. C’est rationnel, mais ça l’est trop, précisément ! L’intéressé est dans l’émotion, et chercher à le raisonner à ce stade se révèle contreproductif. Il faut être dans l’empathie, accepter que ses fonctions passées lui manquent, qu’il n’a plus d’énergie, plus l’adrénaline…
La meilleure chose à faire est de lui dire : « Je comprends, cela doit être dur du jour au lendemain de tout arrêter. » Il se sentira soutenu et, alors, c’est la seule chose qui importe. Et c’est seulement dans un second temps qu’il pourra faire la part des choses et prendre conscience, notamment, du stress, de la fatigue ou des contraintes qui pouvaient s’attacher à ses anciennes fonctions. Autre point à l’intention de l’entourage : la personne qui quitte ses fonctions risque de reporter son besoin de contrôle ou de pouvoir dans la sphère privée. Cela suppose, au départ, quelques ajustements. Comment se réinventer ensuite ? Cela dépendra de chacun.
Seule certitude : il faut se donner la possibilité d’atterrir et de faire le point pour bien savoir à quoi on aspire réellement. Il est souvent difficile de résister à la tentation de remplir le vide en sautant sur la première opportunité professionnelle qui passe. Dans tous les cas, un bilan s’impose et cela demande du temps.